Médecine occidentale ou médecine traditionnelle : quel choix pour les pays pauvres comme Haiti ?

Par Erold Joseph, MD, pneumologue

Expert en Santé Publique, Santé Scolaire et Promotion de la santé

Première partie :

Un regard critique sur la médecine occidentale

31 décembre 2024

« La séparation de la science et de la philosophie ne pourrait être que nuisible au progrès des connaissances humaines. La philosophie, tendant sans cesse à s’élever, fait remonter la science à la cause ou à la source de toutes choses. Elle lui montre qu’en dehors d’elle, il y a des questions qui tourmentent l’humanité et qu’on n’a pas encore résolues. Cette union solide de la science et de la philosophie est utile aux deux ; elle élève l’une et contient l’autre. Mais, si le lien qui unit la philosophie à la science vient à se briser, la philosophie privée de l’appui et du contrepoids de la science, monte à perte de vue et s’égare dans les nuages, tandis que la science, restée sans direction et sans aspiration élevée, tombe, s’arrête ou vogue à l’aventure. »

CLAUDE BERNARD,

Introduction à l’étude de la médecine expérimentale 1965, 1ère édition

 

En guise de préambule

« La vie est souffrance » disait Siddharta Gautama  appelé « Le Bouddha ». Selon le bouddhisme qui n’est pas une religion, mais une philosophie de vie, il existe quatre grandes souffrances dans la vie : la vieillesse, la maladie, la mort et la naissance, celle-ci étant en fait, la toute première du point de vue chronologique. Un bouddha est un médecin de l’esprit, un être qui s’est éveillé du «samsara  » c’est-à-dire du « rêve de la vie » et qui aide les autres à y parvenir.(1)

    Cette série, présentée sous forme de questions/réponses, à la manière bouddhique, est un appel à une réflexion à la fois scientifique, philosophique et éthique sur une discipline, une ancienne et noble profession dont l’objectif principal est de sauver des vies ou du moins d’atténuer les souffrances liées à ce que nous avons appelé « maladie ». Il a aussi une prétention éminemment pratique : contribuer à ressusciter et réformer notre système de santé aujourd’hui quasimeni détruit. Question subsidiaire : quelle place devra-t-on accorder aux médecines dites parallèles, plus spécifiquement  à notre médecine traditionnelle dans ce nouveau système de santé ? Il ne s’agit nullement de jeter le discrédit sur des confrères, consoeurs, infrmières pharmaciens, techniciens qui font leur travail avec conscience, dévouement, courage, qui  sauvent de nombreuses vies surtout durant cette période extrêmement difficile et qui ont souvent, par ailleurs, contribué à notre formation.

 D’où vient la médecine ?

Depuis leur origine, les êtres humains ont tenté, par instinct de conservation, de faire face à tous les dangers qui menaçaient leur intégrité physique et mentale ainsi que leur survie, à savoir les accidents, les désastres et la maladie. La médecine, en tant que technique ou art organisé (e) visant à conserver ou recouvrer la santé, remonterait à plusieurs millénaires avant Jésus-Christ.(2) On distingue ainsi :

  • La médecine primitive magique, celle des premiers hommes et femmes et qui daterait de 3000 ans avant Jésus-Christ
  • La médecine archaïque, remontant de 3000 à 1000 ans avant J.C et qui correspondrait aux premiers essais de rationalisation
  • La médecine grecque ou occidentale qui aurait pris naissance 400 ans avant JC

Les historiens de l’art ou technique du « guérir » classent également les médecines en fonction de la région géographique où elles ont pris naissance. Ainsi, existe-t-il une médecine égyptienne telle que la révèlent les papyrus égyptiens, une médecine arabe, une médecine chinoise (qui utilise : l’acupuncture), une médecine ayurvédique d’origine indienne. En Haiti, comme en Afrique, la médecine est liée à une connaissance des plantes locales et/ou au vaudou, religion ancestrale.  En fait, la médecine a épousé différentes formes, selon les époques, la région du monde où elle a émergé et aussi, la compréhension que les différents peuples ont eu de l’être humain, de l’univers, de l’existence et de la mort. D’où sa relation étroite avec l’histoire, la religion, la philosophie et la science.  Il existe donc en réalité, une pluralité de médecines, n’en déplaise aux ethnocentristes qui croient dur comme fer que l’occident détient le monopole de l’art thérapeutique.

Qu’est-ce que la médecine occidentale ?

Quand on dit Occident, l’on se réfère à cette partie géographique qui comprend, à l’Ouest : l’Amérique du Nord, plus particulièrement les Etats-Unis et le Canada (Amérique du Sud, Amérique centrale et Caraïbes exclues). Plus à l’est, elle inclut l’Europe, avec plus spécifiquement, l’Angleterre, la France, la Suisse et les pays scandinaves comme le Danemark, la Norvège, la Suède, sans oublier la Grèce, considérée comme le berceau de cette civilisation occidentale qui s’estime et que nous estimons souvent, supérieure. L’Afrique, bien que située à l’ouest et au sud du continent européen, n’en fait point vraiment partie, mais a été, comme l’Amérique du sud, colonisée, pillée et esclavagisée par l’Occident. Elle a néanmoins sa propre culture, sa propre médecine. A l’Est extrême (Extrême Orient), on retrouve une partie de l’Europe ainsi que l’Asie, région constituée par la Russie, la Chine, l’Inde et l’Australie, bloc ayant aussi son histoire et sa civilisation spécifiques.

Vers 460 avant JC, nait en Grèce, dans la ville de Kos, Hippocrate, thérapeute et philosophe, considéré comme le père de la médecine, alors qu’il faudrait préciser « médecine occidentale » puisque les autres régions ont eu la leur, remontant à plusieurs millénaires. (2) L’histoire étant toujours écrite par les vainqueurs et les plus puissants tant du point de vue politique qu’économique, l’on ne peut s’étonner que la médecine dite conventionnelle soit considérée généralement comme la seule valable, d’autant plus qu’elle est supportée par une économie forte et une technologie avancée. Il faut préciser par ailleurs que le vocable « médecine » désigne souvent, par abus de langage, non seulement la relation soignant/patient, mais aussi, la santé publique dans sa globalité, avec son organisation, ses composantes curatives, préventives et palliatives. C’est d’ailleurs dans cette acception que nous l’utiliserons.

Quel est l’intérêt pratique du présent texte ?

La « santé pour tous en l’an 2000 », prédite dans les années 1980 par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) n’a point vu le jour. Tout porte à croire que cette prophétie ne se réalisera pas non plus, le 31 décembre 3000, fin du troisième millénaire, y compris pour les pays les plus riches, dotés pourtant de la technologie la plus imposante et souvent d’un système d’assurance-santé assez bien huilé. La situation s’avère encore plus inquiétante dans les pays du sud, étiquetés ironiquement ou euphémiquement « en voie de développement ». C’est le cas d’Haiti qui, en 2018, selon la Banque Mondiale affichait une espérance de vie à la naissance de seulement 64 ans , chiffres qui devraient aujourd’hui avoir diminué d’au moins 10 ans, à la faveur du pic épidémique actuel de violence criminelle chronique ayant entrainé l’effondrement de l’Etat et la destruction totale du système de santé. Quatre questions nous taraudent l’esprit en entamant cette série :

  1. Faut-il renoncer à cette médecine occidentale venue d’ailleurs, coûteuse, inaccessible à la grande majorité ?
  2. Faut-il la réformer et la rendre accessible à notre population ?
  3. Que faire des médecines dites parallèles, et plus particulièrement de notre médecine traditionnelle ?
  4. Faut-il chercher un rapprochement, une complémentarité entre ces deux médecines ?

La première étape consiste à bien comprendre la médecine occidentale, ses origines, ses  postulats  philosophiques, ses forces, mais aussi ses faiblesses et  ses déviances.

D’où vient la médecine occidentale ou conventionnelle?

Elle apparait en Grèce au Vème siècle avant Jésus-Christ et se réclame d’Hippocrate appelé « le maitre de Kos », sa ville natale. Hippocrate était à la fois philosophe et médecin. Le grand principe de sa médecine, placée sous l’égide du dieu Asclépios était « Primum, non nocere », ce qui se traduit par :  avant tout, ne pas nuire.  Hippocrate soulignait ainsi la nécessité d’utiliser tout moyen susceptible de sauver la vie d’un malade ou de soulager ce dernier, à condition que cela ne lui nuise point. Sage principe de précaution. En face, les disciples de la déesse Hygie se souciaient davantage de conserver la santé, en menant leur vie avec sagesse et pondération. (2) C’est la prévention par l’adoption d’une bonne « hygiène de vie » dont sera issue beaucoup plus tard, au XXème siècle,  la vision biosociale mère de la « promotion de la santé » et s’opposant à la vision biomécanique triomphante. (3)

Quelles sont les principales caractéristiques de la médecine occidentale ou conventionnelle ?

La première caractéristique de cette médecine, c’est son caractère allopathique, c’est-à-dire antagonique.  Ce mot vient du grec allos (autre) et pathos (souffrance). Il s’agit souvent d’une guerre menée contre la souffrance ou plus précisément contre un ennemi invisible à l’œil nu (un microbe) lequel a pénétré dans l’organisme, s’y est mutiplié, provoquant ainsi  la maladie. On parle alors de maladie infectieuse que l’on guérit par des antibiotiques. Il arrive aussi que la maladie soit causée, pour parler de façon imagée, par des cellules du corps transformées en bandits lourdement armés et qui prennent progressivement le contrôle de l’organisme, détruisant progressivement ce dernier, comme cela se déroule aujourd’hui chez nous, en Haiti. On parle alors de tumeur maligne ou cancer. Dans la première éventualité (maladie infectieuse) on utilise comme armes, des antibiotiques, alors que dans la seconde, on emploie des anti-tumoraux ou anti-cancéreux. L’omniprésence du préfixe anti dans la médecine occidentale montre bien qu’il s’agit d’une médecine guerrière: antibiotique, antiémétique, antiparasitaire, antihypertenseur, antifongique, anti-dépresseur, anti-arythmique, anti-douleur (analgésique), anti-cancéreux etc. Cette guerre utilise des armes chimiques et une technologie certes efficaces, mais qui, néanmoins ont des répercussions négatives appelées « effets secondaires » ou indésirables (dommages collatéraux), parfois très graves sur le corps et sur la psyché. Dans le cas de la chimiothérapie et la radiothérapie anticancéreuses, c’est comme si, pour exterminer des bandits du vivre ensemble qui auraient pris le contrôle de ta maison familiale, tu tirais sur la chambre où ta famille est prise en otage,  en utilisant de l’artillerie lourde, dotée d’une certaine précision, tout en souhaitant que tes proches ne seront point atteints. L’importance de la médecine allopathique et mécanique est évidente, voire cruciale, quand il faut intervenir directement sur la machine corporelle, les organes externes et internes, les organes sensoriels (yeux, oreilles nez, bouche) le squelette et les muscles.  Comme le dit si bien, le Dr  Andrew Weil, diplômé de Harvard, chercheur, à l’époque, en  ethnopharmacologie au musée botanique de cette Université, « elle est la plus efficace dans les cas de traumatismes physiques que toutes les autres formes de médecine, dans les grandes urgences médicales et chirurgicales, le traitement des infections bactériennes aigues, les infections parasitaires et fongiques, dans l’immunisation (vaccination) pour prévenir de nombreuses maladies infectieuses, pour diagnostiquer les problèmes médicaux complexes, pour remplacer les genoux et les hanches endommagés » (4). Nous ajouterions qu’elle est efficace pour réaliser les transplantations d’organes grâce à la haute technologie supportée par l’Intelligence Artificielle. Ainsi elle a permis de sauver et/ou de prolonger de nombreuses vies.  Par contre, cette médecine s’avère inefficace contre les infections virales, les maladies dégénératives, la plupart des allergies, les maladies auto-immunes, les maladies mentales, les maladies psychosomatiques et la plupart des formes de tumeurs malignes ou cancers.. Dans tous ces cas, les médecines dites alternatives ou parallèles (du moins certaines d’entre elles) semblent donner de meilleurs résultats ou peuvent aider. Un autre problème crucial auquel fait face la médecine conventionnelle moderne, surtout dans les pays avancés, c’est l’apparition croissante de souches microbiennes résistantes à chaque nouvel antibiotique mis sur le marché.  Ces molécules dont le coût augmente progressivement deviennent inaccessibles à  la majorité, surtout en pays pauvre et provoquent .des effets indésirables qu’il faut aussi soigner.  Le traitement allopathique s’avère donc une arme à double tranchant qu’il faut utiliser avec pondération au lieu d’en faire une panacée.

A côté de cette médecine guerrière, il y a la médecine homéopathique, laquelle a été inventée par Samuel Hahnemann (1755-1843), un brillant renégat de la médecine allopathique. Le principe de l’homéopathie consiste à utiliser les substances chimiques de manière très diluée et à doses infimes, histoire de diminuer considérablement leur toxicité, stimulant ainsi l’immunité, c’est-à-dire la capacité naturelle d’auto-guérison de l’organisme. Paradoxalement, cette branche des médecines alternatives ou naturelles rejette systématiquement l’immunisation ou vaccination qui a contribué à éliminer ou diminuer un certain nombre de maladies  comme la diphtérie, la variole, la rougeole, la rubéole, interprétation  rejetée cependant par un certain nombre médecins et de spécialistes de la santé publique des années 1980, dont le père de l’épidémiologie moderne, Thomas Mc Keown (3) et Ivan Illich, éducateur, mort d’une tumeur du cerveau. (5) Signalons que dans la vaccination, on injecte le microbe tué ou atténué, de manière à stimuler le système de défense du corps (système immunitaire) lequel pourra réagir beaucoup plus efficacement lorsque l’infection se produira pour de bon. Voilà un paradoxe : la fille de l’homéopathie rejetée par son père naturel et adoptée par l’ennemi farouche de ce dernier.

A suivre

Nous reviendrons sur les caractéristiques fondamentales de la médecine occidentale

Professeur Erold JOSEPH

Médecin, pneumologue, expert en santé scolaire et promotion de la santé

 

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

  1. Jean-François Rével et Matthieu Ricard, Le moine et le philosophe, Nil Editions,1997
  2. Roger Dachez Histoire de la médecine, de l’Antiquité à nos jours, Editeur Tallandier, 2021
  3. Luciano Bozzini, Médecine et société :les années 80, Editions Saint-Martin, 1981
  4. Dr Andrew Weil, Le corps médecin ,Editions Jean-Claude Lattès,1999
  5. Ivan Illich, Némésis médicale : l’expropriation de la santé, Babelio 1974