La flamme du savoir attaquée
Un coup est porté le samedi 1er novembre 2025 au cœur même de l’intelligence nationale. L’Université Soleil d’Haïti située dans le quartier de Turgeau a été incendiée. Une œuvre de mains obscures et criminelles pour certains.
Par Pierre Josué Agénor Cadet
Au quartier de Turgeau, le samedi 1er novembre, jour de la Toussaint, un incendie d’origine criminelle a réduit en cendres l’Université Soleil d’Haïti. Ce jeune centre d’enseignement supérieur a été fondé par Maître Jean Renel Sénatus. Ancien commissaire du gouvernement près le tribunal civil de Port-au-Prince plus connu sous le nom de zokiki à l’époque et ex-sénateur de l’Ouest à la cinquantième législature, cet avocat de renom avait réussi à offrir au pays un espace de formation avec les moyens du bord.

L’Université Soleil d’Haïti dans le quartier de Turgeau
Dans un pays où l’accès à l’éducation demeure un combat quotidien, ce drame ne saurait être perçu comme un simple fait divers. C’est un coup porté au cœur même de l’intelligence nationale, une atteinte grave à l’espoir collectif d’une jeunesse déjà meurtrie par l’exclusion, la pauvreté et la violence ambiante.
Ce sinistre, œuvre de mains obscures et criminelles, vient endeuiller toute une communauté : étudiants, professeurs, employés administratifs, membres du petit personnel, parents d’étudiants et, plus largement, tous ceux qui croient encore en la puissance du savoir comme instrument de libération.
L’Université Soleil d’Haiti n’était pas qu’un bâtiment, ni un simple établissement académique. Elle était le symbole d’une volonté : celle de redonner à la jeunesse haïtienne la possibilité d’apprendre, de s’élever, de rêver d’un avenir meilleur. Dans ses salles de cours, des centaines de jeunes de toutes couches sociales venus d’horizons divers se réunissaient chaque jour pour étudier des disciplines variées. Là, dans cette ambiance studieuse, se forgeait une génération nouvelle, animée par la soif du savoir et le désir ardent de contribuer à la reconstruction morale et intellectuelle de la nouvelle Haïti.
Détruire un tel lieu, c’est commettre un crime contre l’avenir, c’est assassiner symboliquement des milliers d’espérances, c’est dire à la jeunesse : ” Vous n’avez pas le droit de penser, ni de grandir”. Ce n’est pas seulement un feu matériel qui a ravagé les locaux de l’Université Soleil d’Haïti ; c’est un feu moral, un incendie de la conscience nationale. Car chaque salle brûlée, chaque livre parti en fumée, chaque ordinateur réduit en cendres emporte avec lui un fragment de notre dignité collective.
Les conséquences de cet acte sont tragiques. Des professeurs se retrouvent sans emploi, des employés administratifs, souvent des pères et mères de famille modestes, voient disparaître leur unique source de revenu. Des centaines d’étudiants, en plein milieu ou au début ou à la fin de leur formation, sont aujourd’hui désemparés, ne sachant où poursuivre ou commencer ou terminer leurs études. Le pays, déjà frappé par une crise économique, sécuritaire, sociale et institutionnelle sans précédent, perd encore un espace d’espoir et de reconstruction.
Mais au-delà des pertes matérielles, c’est le message symbolique de cet incendie qui glace le sang. Quand on s’en prend à une université, on ne vise pas seulement des murs ou son fondateur. On vise l’intelligence, la pensée, la lumière. On s’attaque à ce qu’il reste d’humain dans un pays déjà malmené par l’obscurantisme, la corruption, la mal gouvernance, l’hypocrisie, la trahison, l’aigreur et la haine. C’est un acte de terreur intellectuelle, une tentative de réduire au silence les voix qui éclairent et élèvent.
Un crime contre la jeunesse, l’intelligence et la société
L’Université Soleil d’Haïti représentait une réponse citoyenne face à la faillite de l’État dans le domaine de l’éducation. Elle incarnait l’engagement d’un homme, Maître Jean Renel Sénatus, qui, au lieu de se résigner ou d’aller vivre ailleurs, avait choisi de bâtir. Par sa création, il avait voulu offrir à la jeunesse une institution digne, encadrée, structurée, où l’effort, la discipline et la méritocratie avaient encore un sens.
Aujourd’hui, cette initiative privée, porteuse de progrès, est réduite à néant. L’acte incendiaire qui l’a anéantie est une gifle à tous ceux qui croient encore à la valeur de l’éducation, au travail intellectuel, à la transformation sociale par le savoir. Il faut le dire avec force : détruire une université, c’est détruire le pays, c’est priver des générations entières de la possibilité de comprendre, de réfléchir, de construire.
Il est temps que l’État et la société haïtienne se dressent face à cette barbarie qui ronge nos fondations. On ne peut pas continuer à brûler les écoles, les hôpitaux, les universités, les bibliothèques sans en payer le prix moral et historique. Les autorités du pays, détentrices de la contrainte légitime, doivent prendre leurs responsabilités, non seulement en identifiant et en punissant les coupables, mais surtout en protégeant les institutions éducatives comme on protège un sanctuaire. Car l’école, l’université, c’est le dernier refuge de la civilisation dans un pays en crise systémique comme le nôtre.
L’incendie de l’Université Soleil d’Haïti n’est pas une simple tragédie locale, c’est le symbole d’une société en perte de repères, où l’on préfère anéantir ce qui éclaire plutôt que de bâtir ce qui élève. Ce feu criminel ne doit pas éteindre la flamme du savoir. Au contraire, il doit rallumer en nous tous la conviction que l’éducation est la seule voie de salut.
Haïti ne se relèvera ni par les armes ni par la haine, mais par la lumière des esprits instruits. En brûlant l’Université Soleil Haïti, on a voulu éteindre un flambeau. Mais les flammes de la bêtise ne triompheront jamais de la lumière de la connaissance. Puisse ce drame réveiller les consciences, mobiliser les énergies et rappeler à chacun que protéger une université, c’est garantir l’avenir des jeunes.
Pierre Josué Agénor Cadet