Les bonnes feuilles

 

Je viens de lire, à chaud, un article signé par le premier secrétaire général du Réseau haïtien de journalistes en santé (RHJS), le Dr Odilet Lespérance. Un texte qu’il avait rédigé dans le feu de l’actualité, en 2021, à l’époque où l’épidémie de Covid-19 faisait rage à travers le monde.

Lorsque les laboratoires occidentaux ont découvert un vaccin, nombre d’hommes d’affaires se sont aussitôt frotté les mains, voyant dans cette crise une occasion de profit. Ce jour-là, après une réflexion profonde, le Dr Lespérance a su faire preuve de lucidité et d’un véritable éclair de génie en publiant, dans les colonnes du Nouvelliste, une tribune destinée à interpeller les autorités sur leur responsabilité face à la pandémie.

Dans Coup de gueule, regard sur l’actualité de la santé en Haïti, un ouvrage coordonné par Gladimy Ibraïme, successeur du Dr Lespérance, le lecteur découvrira bientôt un riche répertoire d’articles signés par des journalistes du RHJS et parus dans nos médias traditionnels et en ligne.

Coup de gueule fait revivre de grands moments journalistiques de l’histoire du Réseau. Le lecteur y plongera dans des faits ancrés dans le réel, des écrits porteurs d’engagement, de lucidité et de vérité.

Vaccination Covid-19 : l’État démissionne et engage le privé

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Par Dr Odilet Lespérance

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Dr Odilet Lespérance

Dans une note publiée le 23 juin 2021, le ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP) a autorisé les agences de produits pharmaceutiques à importer des vaccins contre la Covid-19, dans le cadre de la lutte contre l’épidémie en Haïti.

Un devoir d’État abandonné

Dans la plupart des pays engagés dans la vaccination contre la Covid-19, l’État assume pleinement sa responsabilité : il se procure les vaccins, assure la communication publique et veille à rendre ce traitement préventif accessible à tous. En Haïti, ce devoir démocratique n’est pas assuré par les décideurs. L’État semble se dégager volontairement de cette responsabilité, la confiant à des structures privées spécialisées dans la vente de produits pharmaceutiques.

Pourtant, face à un problème majeur de santé publique comme celui de la Covid-19, l’État — garant de la sécurité collective — a l’obligation d’adopter une stratégie inclusive et sécuritaire pour protéger la santé et le bien-être de la population.

Confier la vaccination au secteur privé revient à exclure une grande partie des citoyens. C’est un choix discriminatoire qui prive la majorité, déjà pauvre, de l’accès à un produit essentiel et stratégique.

Cette décision traduit une démission manifeste de l’État, une marque d’irresponsabilité vis-à-vis d’une population vulnérable, peu informée et frappée de plein fouet par une crise sanitaire grave.

Dans un contexte pareil, se décharger de la mission vaccinale revient à exposer le pays à plus d’inégalités, plus d’injustices et à aggraver une situation déjà critique. Certes, la vaccination peut être facultative, mais elle doit être avant tout disponible, accessible et gratuite, car elle relève de la sécurité publique.

La Covid-19 continue de tuer

La pandémie continue de faire des ravages en Haïti. Selon les données officielles, 393 décès hospitaliers avaient déjà été enregistrés au moment de la publication de la note. Pour la seule semaine du 13 au 18 juin 2021, 32 décès hospitaliers ont été recensés, soit une augmentation de 113 % par rapport à la semaine précédente. Les nouveaux cas d’infection ont également augmenté de 5,1 %, passant de 789 à 831.

Face à cette flambée, les autorités ont décrété l’état d’urgence sanitaire. Mais au-delà des chiffres, la situation dramatique dans les hôpitau,  avec 186 admissions enregistrées cette même semaine, aurait dû pousser les responsables à faire un choix plus responsable et plus humain pour garantir la protection sanitaire de la population.

Un vaccin hors de portée

Qui, en Haïti, peut s’acheter un vaccin contre la Covid-19 ?

Les coûts varient entre 6 et 40 dollars américains sur le marché international. Si l’on ajoute les frais de transport, de conservation et les marges bénéficiaires des vendeurs, on peut s’interroger : quelle part de la population aura réellement accès à ce vaccin ?

Pour ceux qui souhaitent se faire vacciner mais n’en ont pas les moyens, il ne reste qu’à s’en remettre à la nature et au temps. Cette situation révèle l’ampleur du désengagement de l’État et la persistance d’une politique discriminatoire qui laisse toujours une grande partie du peuple au bord du chemin.

Les domaines de l’éducation, de la santé, de la justice, du logement, de l’environnement ou encore de la sécurité illustrent tous la même réalité : celle d’un pays fracturé par les inégalités.

Pour un sursaut collectif

Il est temps de faire un effort salvateur pour accompagner le peuple haïtien dans ces temps déraisonnables qui nous poussent à nous demander : « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? »
N’oublions pas, comme le rappelait Lamartine, que « le peuple est le sol sur lequel repose toute nation ».

Dans le contexte d’une pandémie qui menace la vie et la sécurité publique, l’État a l’impérieuse obligation de s’assurer du bien-être collectif. Seule une action ferme, équitable et inclusive pourra rétablir la confiance et sauver des vies.

Dr Odilet Lespérance